« L’ambition est d’inscrire la direction juridique et compliance dans la trajectoire définie pour L’Oréal en 2030 », Alexandre Menais, DJ

« L’ambition est d’inscrire la direction juridique et compliance dans la trajectoire définie pour L’Oréal en 2030 », Alexandre Menais, DJ

21.07.2025

Gestion d'entreprise

Transformation de la direction juridique pour s’aligner avec les objectifs du groupe L’Oréal en 2030, formation des juristes, communication impactante, approche user centric, digitalisation... Telle est la feuille de route d’Alexandre Menais, directeur Juridique & compliance du groupe L’Oréal depuis son arrivée fin 2022.

Organisation de la direction juridique, rôle du DJ, bonnes pratiques et grands chantiers, évolution de la fonction… Retrouvez chaque mois dans ActuEL DJ, l’interview d’un directeur juridique. Et pour commencer cette série, lumière sur Alexandre Menais, directeur Juridique & compliance du groupe L’Oréal.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Pouvez-vous présenter votre direction juridique ? 

Nous avons une organisation qui correspond au modèle opératoire du groupe l’Oréal. A la différence d’autres concurrents, nous ne sommes pas organisés par maison mais plutôt par expertise juridique (propriété intellectuelle, droit boursier, contentieux, M&A, etc.). Ce sont des activités classiques que l’on retrouve dans les organisations qui opèrent de façon globale. En parallèle de ces fonctions centrales, nous avons une organisation régionale (zone) qui coordonne les différents pays de la zone et cascade les grandes orientations stratégiques définies par le central, en charge du frame et donc de toute la stratégie du groupe. Les pays, eux, sont au contact de nos clients sachant que l’Oréal ne distribue pas en direct auprès de ses clients finaux.

Et donc au siège, en centrale, comment est organisée la fonction juridique ? 

Au sein des fonctions globales qui sont au siège, nous avons procédé l’année dernière à un ajustement de notre organisation, en créant 8 pôles d’excellence qui correspondent aux enjeux business du Groupe, afin d’être notamment plus « user-centric », proches du business et de proposer une vision de bout en bout des sujets. Par exemple, nous avons regroupé au sein d’un même pôle toutes les activités liées aux opérations : soutien aux usines, achats directs… On y ajoute tout ce qui touche aux infrastructures - l’immobilier, l’IT, etc. Et comme tout doit opérer de façon cohérente et par rapport à nos engagements environnementaux, nous y ajoutons aussi la durabilité. Autre exemple, nous avons associé au sein d’un même pôle le contentieux, les risques et les assurances. Les juristes ne sont plus des experts mais des collaborateurs avec des expertises qui gèrent les risques.

Nous avons aussi souhaité mettre en place un pôle appelé « Market Development » dont l’idée est d’épouser les grandes orientations stratégiques de L’Oréal et d’arriver à les prendre en amont au moment de leur conception pour que la construction des projets puisse se faire de façon totalement coordonnée et structurée. Le mot « projet » va revenir souvent lors de cette interview car quand je suis arrivé en 2022, c’est une des premières choses que j’ai souhaitée mettre en place : former l’ensemble des juristes au mode projet. L’idée est qu’ils soient beaucoup moins attachés à leur département et au contraire qu’ils soient « volants » et capables de s’intégrer sur un projet. La DJ a alors une valeur immédiate pour le groupe et permet de gagner des parts de marché. C’est un de nos objectifs majeurs. 

Comment vous définiriez votre rôle de directeur juridique ? 

Il y a bien sûr l’aspect managérial de la fonction qui est toujours la même : être le chef d’orchestre et faire en sorte que les collaborateurs disposent de la bonne organisation et des bons outils pour répondre aux enjeux du groupe. Mais mon rôle va bien au-delà car l’ambition est d’inscrire la DJ et compliance dans la trajectoire définie pour L’Oréal en 2030. Et pour ce faire, nous avons défini une ambition appelée le « next level », pour anticiper les besoins du Groupe qui vise à devenir le Champion de la Beauty Tech et à être exemplaire sur les problématiques ESG. Plutôt qu’une approche « top down », nous avons opté pour une approche « bottom up » en embarquant l’ensemble des équipes dans le plan de transformation pour qu’elles contribuent à la définition et à la mise en œuvre des objectifs permettant d’atteindre cette ambition du « next level ». Nous avons abouti à une quinzaine de sujets structurants que nous avons phasés et que nous mettons désormais en œuvre via des groupes de travail transverses touchant à la fois le développement de nos collaborateurs, nos outils, notre stratégie Data, nos actions de conquête pour soutenir la croissance du groupe.

Quels changements cette ambition du « next level » a-t-elle entrainé ? 

Après avoir défini cette ambition, lancé ces travaux et mis en place certains livrables, naturellement il est apparu nécessaire de changer notre organisation pour correspondre plus aux besoins qui étaient et sont ceux de L’Oréal. Parmi les changements que j’ai souhaités opérer, celui de devenir plus « user-centric », c’est-à-dire d’être plus proche du business et d’agir en amont des sujets qui concernaient nos opérationnels. Pour cela, nous avons créé des postes de juristes qui sont directement intégrés au sein de nos 4 divisions de produits (luxe, grand public, professionnels, dermocosmétique) pour travailler au plus près des équipes. Et pour pallier la complexité de notre mode opératoire qui pouvait perdre le business, nous avons créé le concept du « One L’Oréal Lawyer » qui signifie que chaque juriste doit connaître avant toute chose la « loi » de L’Oréal – qui est actif dans plus de 150 pays, autrement dit son mode opératoire, ses grandes politiques internes et ses ambitions stratégiques.

J’ai une conviction forte, dans un monde où la loi est remise en cause en permanence, où la soft law qui gouverne énormément les agents économiques, il est essentiel pour une organisation globale comme L’Oréal de démontrer en permanence la cohérence de ses actions et de définir ses propres règles via la compliance notamment.

Dans ce contexte, quel rôle joue la formation ?

La formation et le développement des équipes sont déterminants. Sur la partie « hard skills » ou fondamentaux, nous avons créé un socle commun qui regroupe notamment la propriété intellectuelle, la concurrence, la data protection, etc. Pour cela, nous avons lancé une plateforme qui s’appelle « Skills for the future for legal », avec des modules obligatoires à suivre sur un an, pour que chaque collaborateur ait le même niveau de connaissance des fondamentaux du groupe et de l’application de la norme juridique. L’objectif est que chaque juriste, en plus de sa dominante, soit suffisamment généraliste pour être capable de délivrer immédiatement un premier niveau de service sur tous les sujets clés du Groupe, toujours dans une approche d’efficacité et de centricité. Par ailleurs, nous avons fait un gros travail sur les softs skills avec notamment, le legal design, la conduite de projet, la prise de parole et l’impact dans la communication ou encore sur 2025 le change management.

Quelles bonnes pratiques avez-vous mis en place au sein de votre direction juridique ? 

L’un des objectifs de notre transformation visait à désiloter notre organisation pour favoriser pleinement le partage d’informations, l’échange et le travail en commun. Pour cela, nous avons beaucoup travaillé sur l’animation de la communauté avec, je l’évoquais tout à l’heure, tous ces groupes de travail qui permettent à chacun de contribuer à la transformation de la DJ. Cela offre un double bénéfice : contribuer à la transformation de la Direction juridique et apprendre à travailler en mode projets, deux objectifs clés de notre ambition.

Nous avons également lancé MYLEGALINK, un site internet interne où sont regroupées et centralisées toutes les informations relatives à l’équipe, les documents clés, les dernières infos et nouvelles pour favoriser la formation de nos collaborateurs, la diffusion de l’information, ou encore l’onboarding des nouveaux arrivants. C’est aussi un moyen d’assurer la consistance et la cohérence de l’information délivrée par les équipes juridiques et compliance, au niveau de tout le Groupe. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur notre manière de communiquer, via notamment des modules de formation au legal design et à la communication impactante. Nous utilisons désormais des vidéos, des podcasts et différents types de formats (et même la BD) pour mieux sensibiliser le business, notamment aux matières régaliennes que sont la conformité, la concurrence, l’anticorruption...

Quels sont actuellement les grands chantiers de votre direction juridique ?

Nous avons trois chantiers prioritaires au sein de notre ambition Next Level.

Depuis le 1er juillet, nous sommes devenus la direction « legal and compliance » car nous intégrons et regroupons toutes les fonctions compliance autrefois éclatées au sein du Groupe, et ce afin de les développer, de créer des synergies et de mettre en place des standards Groupe.

Le deuxième, c’est la mise en place d’un CLM (Contract Lifecycle Management) global. Nous n’aurons plus qu’un seul outil qui sera déployé sur l’ensemble du groupe, dans 60 pays auprès de de 90 000 collaborateurs. Il s’inscrit toujours dans cette logique de cohérence, de consistance et de mutualisation des ressources. C’est un très gros projet à trois ans qui s’achèvera fin 2027 ou début 2028 et qui sera délivré par la direction juridique et compliance. 

Le troisième chantier vise à optimiser notre modèle opératoire en établissant notre cartographie des risques juridiques pour pouvoir mettre ensuite à jour notre organisation et l’allocation de nos ressources, avant de créer notre Legal Playbook, qui constitue en quelque sorte la bible juridique du Groupe. . 

Comment le rôle de directeur juridique a évolué selon vous ? 

Il a beaucoup évolué au cours des 15 dernières années. Je pense que le sujet du positionnement n’en est plus un. Aujourd’hui, aucune entreprise ne s’interroge plus sur le caractère indispensable de la DJ. En revanche, il y a un mouvement naturel qui se fait de regrouper la compliance avec le juridique et c’est très bien. C’est important qu’il y ait une synergie, que les politiques émises par les entreprises soient conformes au droit et chapeautées par des juristes. Il y a aussi un rapprochement avec les affaires publiques, pour apporter notre expertise sur les projets réglementaires.

Il évolue aussi avec l’impact de l’intelligence artificielle, qui fait de nous des juristes augmentés qui vont accepter de ne plus faire certaines tâches. L’IA crée des opportunités, des nouveaux cas d’usage qui vont nous permettre, et je le vois déjà chez nous, d’améliorer notre modèle opératoire, nos livrables et de créer de la valeur de façon un peu distincte.

Enfin, pour terminer je constate que nos équipes s’ouvrent à des profils de non-juristes. Nous recrutons de plus en plus des ingénieurs IT, des data analysts, des chefs de projet, des communicants. C’est un mouvement naturel qui est en train de s’opérer. Et demain, lorsqu’il faudra faire la gestion de risque par exemple, c’est quelqu’un qui sera à même de pouvoir utiliser une IA et savoir prompter ou d’être capable de faire un peu de data analytique pour essayer de ressortir et extraire de la donnée pertinente. Les directions juridiques ne sont plus le monopole des juristes et ce phénomène qui va s’accroitre bénéficiera au développement de ces dernières.

Propos recueillis par Laurine Tavitian
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